Le juge d'instruction Renaud van Ruymbeke a ordonné début avril son renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris pour "escroquerie" et "contrefaçon de marque", a-t-on appris vendredi de source proche du dossier. Le procès, qui pourrait jeter une lumière crue sur les pratiques qui régissent l'étroit marché des grands crus du début du XXe siècle, devrait se dérouler à l'automne 2003. A l'origine de cette affaire, la vente aux enchères fin 2000 de plusieurs de ces bouteilles, au prix unitaire d'environ 3.000 euros, par le commissaire-priseur parisien Tajan. Alerté par le catalogue de la vente, qui stipulait, à tort, que les bouteilles avaient été reconditionnées avec l'accord de Château Margaux, ce dernier a saisi la répression des fraudes de Bordeaux. Les investigations, qui portaient sur quelques 350 bouteilles, ont permis de reconstituer le circuit de ces faux "grands crus" reconditionnées par la société de négoce Barton & Guestier (groupe Seagram) à la demande du négociant belge et revendus, pour une large part, par Durantou, négociant et propriétaire du château l'Eglise-Clinet à Pomerol. Or, après expertise scientifique, basée sur l'empreinte radioactive propre à chaque millésime, une partie de ces bouteilles s'est révélée correspondre à des vins des années 60. Interrogé par l'AFP, l'un des avocats du négociant belge, Me Emmanuel Marsigny, a indiqué que son client contestait "formellement" les faits qui lui sont reprochés. "M. Rouabah a reconditionné des vieux vins selon les méthodes utilisées dans le bordelais. Il n'y a aucune escroquerie", a-t-il affirmé, regrettant par ailleurs que "la chaîne des responsabilités n'ait pas été examinée au cours de l'instruction". Le reconditionnement de vieux millésimes, pratique tolérée et traditionnelle, consiste à changer le bouchon d'une bouteille ancienne, afin de protéger le vin et de la remettre éventuellement à niveau en cas d'évaporation. Mais le sujet reste, à ce jour, relativement tabou. Si certains propriétaires reconnaissent que cette opération peut s'accompagner d'un "rajeunissement" du vin avec un millésime plus récent, d'autres affirment qu'ils ne pratiquent que le "recomplètement", qui nécessite de sacrifier une bouteille du même millésime. Peu après la révélation de cette affaire, Khaled Rouabah avait multiplié les déclarations dans la presse, affirmant qu'il avait "effectivement rajeuni ces vins avec du Margaux et du Lafite 1995" mais soulignant que ce procédé était "connu et courant dans tous les grands châteaux". "Les viticulteurs bordelais se drapent dans leur vertu. Qu'ils arrêtent cette pudibonderie qui frise la malhonnêteté intellectuelle et qu'ils disent vraiment ce qui se passe", avait-il lancé. |